GREVE A PAPEETE

Publié le par l'hôtesse de l'air

Nous étions coincés à Tahiti. 

Le jour supposé du vol, la grève des dockers qui secouait Papeete s'étendit à l'aéroport et des kilos de muscles bloquèrent l'accès aux avions.

Après une attente interminable dans l'aérogare, le vol fut annulé.

Il n'était pas prévu que nous fassions le chemin inverse, c'est peut être pour cela qu'aucune navette ne nous attendait pour nous ramener à l'hôtel. Les choses s'annonçaient difficiles car il était tard et les taxis furent vite tous pris d'assaut. Heureusement la solidarité tahitienne se mit en marche. Nous n'étions que quatre hôtesses et un stew. Un gentil grand père attendri accepta de nous emmener, et c'est un bien étrange chargement d'hôtesses en tailleurs et escarpins qui escalada l'arrière du pick up Mitsubishi, afin de rejoindre ses petits enfants déjà installés sur le plateau.

Les pilotes et le mécanicien étaient logés au Maeva Beach, un superbe hôtel ou vous aviez les pieds dans le lagon. Nous les PNC étions à l'hôtel Ibis, en face, de l'autre côté de la rue...côté campagne.

 

  Il était passé 22 heures quand notre carrosse nous déposa. Nous étions épuisés et affamés, mais les cuisines étaient fermées depuis des lustres et nous ne pouvions que dormir pour oublier.

Enfin...ça c'était sans compter sur la loi de l'emmerdement maximum. Apparemment nous n'étions pas attendus et n'avions ni serviettes, ni savons dans nos chambres. Nous nous retrouvèrent tous à la réception devant un employé "fiu" - concept tahitien qui s'apparente à une grosse fatigue - qui nous expliquait ou trouver le jardinier, qui faisait aussi office d'agent de sécurité et avait les clefs de la buanderie. Le réceptionniste, coincé derrière son comptoir nous fit beaucoup rire à sa manière de nous confier que les clients ne craquaient plus sur la minuscule piscine, dont les abords étaient recouverts d'un gazon artificiel bon marché en plastique, et la vue qui donnait sur......rien. Autant prendre les choses avec humour, l'hôtel allait fermer et il n'était pas responsable. De plus, Il avait eu à gérer d'un seul coup des arrivées de clients à cause du vol annulé, dans un hôtel presque moribond. Nous n'étions pour la plupart jamais venu dans cette île, mais nous savions instinctivement que gesticuler dans tous les sens ne ferait que le braquer. En prenant les choses avec philosophie, vous aviez à coup sur la sympathie de tous les réceptionnistes des hôtels.

C'était donc à nous qu'incombait la lourde tâche de courir en pleine nuit après le jardinier-agent de sécurité, si nous voulions nous débarrasser de l'uniforme dans lequel nous marinions depuis des heures. Heureusement l'hôtel n'était pas grand, et après quelques recherches et quelques rires - qui devenaient de plus en plus nerveux- nous pûmes enfin  regagner nos chambres, pour un repos bien mérité après cette journée de travail bien infructueuse.

 

Le lendemain, au petit déjeuner nous fûmes heureux et excités de nous jeter sur le buffet. Même si celui ci laissait entrevoir la mort lente de l'hôtel, nous étions affamés  et ses fruits colorés ravissait nos yeux avant de satisfaire nos estomacs demandeurs.

Vielle habitude de PN - qui met de mauvais humeur tous les employés affectés au petit déjeuner - nous passâmes des heures autour de la table à commenter les derniers évènements. Nous devions prendre notre mal en patience car notre commandant de bord, un ancien pilote de l'armée un peu psychorigide, jouait son meilleur rôle. Il nous avait consigné à l'hôtel. Malbrough avait décidé de partir en guerre contre les grévistes à l'aéroport de FAA, et il voulait que nous restions joignables en cas de départ immédiat!!!!!  Mais malgré l'engagement dans le conflit de l'Eisenhower de cockpit, la situation était loin de s'arranger. La veille, un équipage technique de la principale compagnie desservant Tahiti depuis la Métropole, avait déjoué la vigilance des grévistes et, sur ordre de sa hiérarchie avait fait sortir l'avion de l'île. Les PNC habitant sur place, les PNT étaient partis en catimini une fois la pression retombée et l'aéroport plus calme. Les pistes étaient proches et en pleine nuit, nous avions pu entendre l'avion décoller. Le lendemain, le bruit avait même couru que les bagages des passagers étaient à bord lors de la fuite des PNT. Nous apprîmes plus tard par le copilote, qu'en signe de représailles les grévistes avaient encerclé les avions à l'aide de camions, et instauré une surveillance jour et nuit afin de freiner toute velléité de fuite de la part des autres compagnies.

 

Chassés du restaurant par le personnel, la piscine et son gazon artificiel trouvèrent grâce à nos yeux. Nous ne pouvions pas sortir de la caserne, mais au moins nous pouvions profiter du soleil. En arrivant, une de mes collègues reconnut un petit groupe de passagers. La veille, inquiets de leur sort, il nous avaient assailli de questions. Mais à ce moment là nous n'avions aucune idée de notre propre sort et ne pouvions évidemment pas leur donner les informations qu'ils demandaient sur la grève et la date exacte du départ. Rapidement la bonne copine nous entraîna sur des transats à l'exact opposé.

C'était la première fois que je mettais les pieds à Tahiti. Je n'en avais même jamais rêvé. Nous  étions certes coincés dans un hôtel sans charme et surtout sans la vue magnifique vantée par toutes les brochures touristiques sur l'île, mais le peu que j'avais vu avait suffi pour que je tombe amoureuse de cet endroit. Je savais que je n'oublierai jamais la joie que j'avais ressenti une fois les portes de l'avion ouvertes, et les odeurs étourdissantes de tiaré qui embaumaient l'île et qui le soir m'enivraient - ou peut être était-ce le mai tai.

Nous étions un équipage de jeunes PNC, 1 chef de cabine, 3 hôtesses, 1 steward. Aucun boulet dans ce petit groupe, aucun râleur qui plombe l'ambiance par ses jérémiades parce qu'il ne supporte pas la situation et veut rentrer à Paris. Nous avions tous pris, sans nous concerter le parti d'en rire.        

Avachis sur nos transats, nous refaisions le monde quand le stew nous fit remarquer que nos voisins semblaient beaucoup s'intéresser à nous. Depuis un moment, nous étions leur principal sujet de conversation.

Bien qu'étant toujours fourré avec nous, le jeune homme ne participait pas aux conversations des filles et préférait lire ou écouter de la musique. Il s'était écarté de nous, mais alors qu'il avait les écouteurs sur les oreilles et l'appareil éteint, il avait surpris la conversation des trois Rapetou. Ces derniers avaient l'air de beaucoup nous en vouloir. Nous ne comprenions pas vraiment pourquoi. Nous n'étions, jusqu'à preuve du contraire, pas responsable de la situation gênante dans laquelle ils se trouvaient. Mais peu leur importait, ils avaient eu à subir des frais supplémentaires et voulaient nous le faire savoir. Ils s'attendaient peut être à ce que, émus, nous leur glissions quelques biftons  

Parmi eux, un couple d'une cinquantaine d'années, le mari un peu plus âgé que sa tendre moitié. Ces deux là semblaient atrocement choqués de voir les PNC à la piscine (le mot crew devait être gravé sur notre front), détendus et gais alors qu'eux avaient dû débourser sur leur propre denier le séjour supplémentaire à l'hôtel. 

 

                                - Mais regarde les, y sont pas inquiets eux, ah ça rigole bien hein!


                      - Eh bé, pourquoi tu veux qu'y s'inquiètent, y z'ont le boire, y z'ont le manger, y sont au soleil, y sont bien eux.

 

Le troisième, assis en position du lotus à même le délicieux gazon artificiel, le quotidien Libération à la main, leva la tête d'un journal qui vu son état devait dater du jour ou il avait quitté Paris.        

 

                      - Bienvenue dans la société capitaliste, nous consommateurs ne sommes là que pour être pressés. La notion de client, ils s'en foutent. Ce sera encore à nous de mettre la main au porte monnaie. Nous engraissons ces compagnies et leurs dirigeants pour un service minimum.

 

Ce n'était pas encore le boum des compagnies low cost et les petites compagnies charters qui s'attaquaient aux géantes de l'aéronautique sur leur propre terrain, offraient certes des prix défiant toute concurrence, pour le plus grand bonheur des populations locales, mais un service clientèle qui, s'il n'était pas complètement inexistant, ne valait certes pas celui des compagnies régulières et habituées de la ligne.

 

 

Loin de moi l'idée de sombrer dans le pathos, mais à nous aussi cette histoire allait coûter un bras. La vie est chère à Tahiti et même si, soyons honnêtes, nos indemnités repas tenaient compte de ce fait, les prix pratiqués dans les restaurants des hôtels étaient parfois exagérés. Un repas complet pouvait vous faire frôler la banqueroute, et je ne parle même pas des prix pratiqués pour les fêtes exceptionnelles genre nouvel an - Eh oui vous voyagez aussi au nouvel an, donc nous nous travaillons. Logique. Eh ceux qui ont de la chance peuvent se retrouver à Tahiti ou à Rio de Janeiro, d'autres un peu moins vernis à Nouakchott ou à Détroit.

Si les PNC sont des spécialistes pour dénicher les petits restaurants locaux pas chers, c'est souvent parce qu'ils n'ont pas les moyens de se payer le restaurant de l'hôtel à chaque repas.

Bon parfois, certains sont juste radins et préfèrent tenir avec les réserves qu'ils ont ramené du petit déjeuner, en attendant d'être dans l'avion pour se jeter sur tout ce qu'il y a de comestible à bord.

En escale au restaurant, car ils sont toujours de la fête, ils sont les spécialistes du  

 

                                  - Tu ne vas pas finir ton assiette?

 

Ils se contentent du plat le moins cher et par conséquent le plus petit de la carte et n'hésitent pas à nettoyer votre assiette une fois que vous ne pouvez plus avaler une bouchée de vos pâtes collantes et infâmes. 

D'autres ont une technique qu'ils pensent infaillible. Ils ne ratent aucune étape du repas: apéritif, entrée, plat, dessert, café, tout cela arrosé de vin et d'eau en bouteille. Au moment de payer, sans aucune honte ils sont les premiers à prendre la note et à crier à la tablée de 10 ou 12 personnes

 

                                  - On ne s'embête pas, on partage

 

tandis que vous voyez la petite stagiaire de 21 ans, qui fait ses 6O heures de vol - stage de validation de la licence de vol PNC - et n'est même pas rémunérée, passer par toutes les couleurs du cercle chromatique et manquer de s'évanouir en silence, parce qu'elle n'a pris qu'une salade, choisie parmi les moins chères de la carte et que depuis le début du repas elle ne boit que de l'eau en carafe, préférant la turista à l'interdit bancaire.

Aussi bizarre que cela puisse paraître - là vous remarquerez mon ton ironique -, ceux qui emploient ce genre de méthode ne sont souvent pas à plaindre niveau salaire, ils sont simplement racho dans l'âme

  Nous étions coincés à l'ibis et allions être obligés d'y prendre les deux repas de la journée, le petit déjeuner étant compris dans le prix de la chambre que réglait l'employeur.

Et pas question de se rabattre sur le restaurant du Maeva Beach, ce serait comme passer de Leader Price à Monoprix Gourmet question prix.

 

 

A nos regards vers eux, les trois compères  comprirent que nous savions qu'ils parlaient de nous, mais cela ne les mit nullement mal à l'aise.  Prudent, le stew rapatria aussitôt son transat à côté de nous pour éviter d'être pris à parti.

La situation devenait ubuesque. Nous étions à l'autre bout du monde, dans un lieu réputé pour être paradisiaque à cause de sa nature qui explosait de mille couleurs, du bleu de ses lagons qui rivalisait d'intensité avec celui du ciel, et de ses couchers de soleil qui avaient quelque chose de différent chaque jour, et nous étions consignés dans un hôtel en faillite, au bord d'une piscine recouverte de gazon artificiel avec pour tout compagnon de fortune des gens que notre simple présence agaçait terriblement.

Nous n'allions certainement pas tenter de leur faire comprendre que nous aussi nous subissions la situation. Si pour eux c'était un énorme grain de sable dans la mécanique bien huilé de leur vacances, pour nous c'était juste, comme nous le dirait tous les chefs de service de la compagnie, des aléas d'exploitation. Nous en étions conscients quand nous nous sommes engagés - ça c'est pour faire plaisir à notre général MacArthur. Dans une situation comme celle ci, la préoccupation première de nos supérieurs n'était pas notre bien être. Cela mettait un tel chaos dans le fonctionnement d'une compagnie qu'il est même arrivé que des PNC soient oubliés en escale après une exploitation perturbée. En général dans un cas comme ça, si c'était silence radio de la part de l'équipage, c'est parce qu'ils s'éclataient comme des fous et étaient heureux de leur sort. Ils revenaient enchantés une fois que les agents de planning après plusieurs appels menaçants chez les dits PNC - et plusieurs couples brisés- avaient enfin compris que si l'équivalent de tous un équipage ratait des vols c'est qu'ils les avaient sûrement oubliés quelque part.

 

L'anticapitaliste, ancêtre des alter mondialistes et le couple de Ténardiers n'avaient pas une once de pitié à notre égard alors que nous nous trouvions certainement dans l'hôtel le plus déprimant de l'un des archipels le plus magique qui soit.

Nous prîmes le parti de laisser glisser, mais à chaque fois que l'un d'entre nous se dirigeait vers l'hôtel et passait devant eux, les réflexions acerbes fusaient.

  C'était plus que nous ne pouvions supporter. Notre Commandant voulait de l'action, il allait en avoir. Nous allions lui rejouer les révoltés du Bounty en organisant une mutinerie.

Profitant de la permission que nous avions de dîner au Maéva Beach, nous prenions un verre avec le copilote et le mécanicien, trop contents de nous raconter en détails les exploits du Capitaine Bligh.

En contact permanent avec le QG qu'il avait installé au Maéva, il les tenait informés à tout moment de la situation et eux aussi étaient coincés à l'hôtel. Notre commandant vivait une seconde jeunesse. L'histoire des pilotes déjouant toute surveillance et s'enfuyant en pleine nuit, avait ravivé en lui des souvenirs de missions commandos alors qu'il était jeune pilote dans l'armée. Il semblait regretter profondément ne pas avoir eu l'idée le premier(sic) et, l'immobilsation d'un avion coûtant très cher, il rêvait de réitérer l'exploit en ramenant notre vieux DC8 à Fernand - notre boss et propriétaire de la compagnie qui traitait les pilotes de teneurs de manche et dont la phrase fétiche était: "des hôtesses? je mets un coup de pied dans une poubelle et il en sort 10". Mais Capitaine B ne faisait pas le poids devant les dockers tahitiens et ses seuls faits d'armes furent de consigner son équipage à l'hôtel.

Quand notre héros rentra de manoeuvre ce jour là, nous lui détaillâmes avec des sanglots émus dans la voix la situation difficile que nous vivions à l'hôtel et l'incidence que cela pourrait avoir sur nos futurs relations avec ces passagers. Capitaine B, conscient que le succès de toute opération militaire dépendait du moral des troupes, accéda à notre demande -non sans rechigner- en nous autorisant à venir passer nos journées au Maéva Beach. Royal, il nous dénoua même un peu la laisse et nous autorisa à aller 2 heures à Papeete le lendemain.

Heureusement la situation ne dura pas éternellement, un compromis fut vite trouvé pour mettre fin au blocage et la petite île put enfin retrouver son calme.

Une fois encore, l'heure de notre commandant de bord n'était pas venu, malgré ses expéditions à l'aéroport de FAAA, il n'avait réussi aucun exploit.

Pour ma part, ce vol sur Tahiti restera un très bon souvenir de ce métier. J'ai tellement ri. Cela m'a permis de supporter une situation sur laquelle je n'avais aucun contrôle.

Je me souviens de ce vol comme si c'était hier. Si je ne me souviens pas des nom et prénom du stew, je n'ai aucun mal à me rappeler ceux des trois autres filles. L'une d'entre elle est toujours ma bonne copine. Nous nous sommes rencontrés sur ce vol et je suis fière et heureuse d'être devenue son amie. Les deux autres, à dire vrai, ont assez vite quitté le navire. 

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L
<br /> Captain Font, one of my favorite's, ça va Lulu? Rendez vous sur FB?<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Que c'est bien raconté Mais tu dois en avoir bien d'autres à raconter de l'heureux temps de Minerve<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Encore une fois un récit super sympa.<br /> <br /> C'est vrai que vu du coté des passagers, être tanké par une grève est une vrai galère et comme c'est un cas de force majeure, il faut savoir se débrouiller seul.<br /> <br /> Autant la clientèle qui a l'habitude de voyager sait, soit mettre en place un plan B (train, voiture, autostop, etc ...), soit faire mauvaise fortune (de mauvaise grâce, mais avec une bonne<br /> assurance voyage type Amex ... ça passe nettement mieux), autant le voyageur de base est perdu ... et vite agressif.<br /> <br /> Bon, il est des endroits connus et reconnus pour être des nids à grève (Antilles françaises par exemple, ou un simple regard peut conduire à 24 h de débrayage sauvage) mais en général, ils se<br /> doublent de lieux paradisiaques qui attirent les touristes peu argentés avec des offres "All-inclusives" défiants toute concurrence.<br /> Il est sûr que pour ces mêmes touristes, PNC, PNT même combat, tous des nantis pétés de thunes, etc .... et dès que ça va mal, sur qui se retournent ces clients, sur les victimes expiatoires (parce<br /> qu'un gréviste réunionnais ou antillais de 100kg, ça se laisse pas faire de la même manière, et parfois même, ça cogne).<br /> <br /> Je suis étonné quand même parce que pour moi, Tahiti restait une destination chère et donc, plutot sélective en matière de clientèle (disons, des gens qui ont les moyens de passer un ou deux jours<br /> sur place sans que le portefeuille n'ait a en souffrir plus que ça).<br /> <br /> Merci pour ce récit.<br /> <br /> Jm²<br /> <br /> <br />
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