L'INFLATION (Le mile high club)
Une grande masse blanche fend le ciel. Dans son flanc, bien à l'abri, des inconnus au destin momentanément commun ont, tant bien que mal, sombré dans un sommeil certainement peuplé de souvenirs de vacances.
L'équipage fidèle à ses obligations veille discrètement, soucieux qu'aucun évènement ne vienne troubler la quiétude de ce petit monde.
L'hôtesse rompue à ce genre d'exercice se déplace en cabine, glissant tel un ange, son regard bienveillant enveloppant chacune des têtes endormies....
Bon, ok ok je vous l'accorde.
Parfois quand un PNC redescend la cabine, on a l'impression d'un troupeau d'éléphants chargeant en pleine savane, et je suis sure que vous vous êtes retrouvé un jour coincé entre le hublot et deux passagers endormis et avachis, à espérer que le PNC, qui est déjà passé plusieurs fois dans la cabine à la vitesse de l'éclair, vous regarde enfin et voit vos signes désespérés pour essayer de l'avertir d'une déshydratation avancée.
Mais pour faire plus poétique, disons que cette nuit là l'hôtesse redescend la cabine d'un pas aérien et silencieux, embrasse l'espace d'un coup d'oeil, son regard aiguisé se posant tendrement sur ses ouailles.
Certes un peu fatiguée par la nuit blanche, elle se dit que ce vol ne pouvait pas mieux se passer. Passagers agréables (et endormis), équipage Top, vol retour assez rapide. Plus que quelques heures et elle sera à son tour prête à tomber dans les bras de morphée.
En passant devant la rangée 27, elle s'imagine déjà se glissant sous l'épaisse couette de son confortable lit king size, quand l'instinct et l'habitude déclenchent en elle un petit signal qui la fait ralentir son pas.
Un homme, une femme. Côte à côte sous des couvertures. Pourtant ce soir, la température n'est pas spécialement basse. D'ailleurs, aujourd'hui tout est parfait même la température en cabine, il ne fait ni trop chaud, ni trop froid. Ce qui dans un avion est un véritable miracle.
Ils ont remontés les accoudoirs et sont installés sur les deux sièges du fond. Le troisième côté allée est libre. L'homme est assis la tête posée contre le hublot. Il semble dormir, mais a sur le visage l'expression de béatitude du bouddha. La femme est tournée vers lui. Elle a replié ses jambes sur le siège et a la tête posée contre le dossier et les yeux fermés. Ils sont réunis sous plusieurs couvertures qu'ils ont remontés jusqu'à leurs cous.
L'hôtesse a un énorme doute. Pendant un instant, elle a eu la vague impression que..... mais là rien ne bouge. Les deux passagers ont l'air endormis. Le doute devant toujours profiter aux accusés, l'hôtesse continue son chemin jusqu'au galley ou elle s'empresse de raconter à ses collègues les jeux interdits qu'elle a cru percevoir sous les couvertures des 27KL. De toute façon, quoique qu'ils fassent sous leurs couvertures, si c'est discret et sans débordement, ils ne risquent pas de se faire prendre en flagrant délit, au pire risquent ils d'éveiller de la suspiscion chez certains. Elle plaint simplement l'équipe de ménage chargée du ramassage des couvertures.
Un moment plus tard, alors qu'une des hôtesses est sur le point d'aller faire une ronde en cabine pour voir ou en sont les peloteurs, une passagère déboule, tel une furie dans le galley.
- Il faut que vous interveniez tout de suite, ça fait un moment que ça dure. Je voyage avec ma mère et ma fille, nous n'avons pas à supporter ça blah blah blah.....
Les hôtesses devinent qu'il s'agit du couple 27, mais la passagère ne donne aucune information concrète sur la nature de l'inadmissible, insupportable pour sa famille et elle. En bonne disciple de Marielle Le Quesnoy, elle n'a prononcé aucun mot qui risque de la conduire droit en enfer, dès sa descente d'avion.
Calmée par les hôtesses, elle finit par lâcher dans un râle:
- Elle a la tête sous la couverture!
Les PNC percutent sans mal que les passagers sont passés du mode manuel au mode automatique. L'hôtesse suit immédiatement le chameau de vertu en cabine. Il ne manquait plus que ça. Alors que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, la voila obligée d'aller expliquer à un couple indélicat que faire une "inflation" dans un lieu public, l'avion dans le cas présent, n'est pas du meilleur goût et est strictement interdit. Ce n'est vraiment pas ce dont elle avait envie aujourd'hui.
Quand elles arrivent au niveau du rang 27, l'affaire si tant est qu'elle ait pu être menée jusqu'au bout, est finie depuis un moment.
A l'opposé, sur la rangée ABC, la grand mère a allumé les liseuses et s'offusque à haute voix.
L'hôtesse se dit que l'effet annihilateur a du être immédiat sur les amants terribles. Elle sent la mère revigorée par la présence de l'autorité en uniforme, prête à jeter l'opprobre sur le couple. Elle la raccompagne doucement à son siège en lui promettant une punition impitoyable à l'encontre des deux transgresseurs (euh...la pendaison peut être).
Heureusement l'affaire n'a pas eu le temps de faire grand bruit.
Afin d'échapper au regard inquisiteur de la famille la vertu, l'hôtesse convoque les deux passagers à l'arrière de l'appareil et leur passe un savon malgré leurs dénégations. Elle leur signale quand même qu'il y a des toilettes à bord pour les cas d'extrêmes urgences. Et même si elle est sure que cette histoire va les faire rire au poste de pilotage, elle leur fait le coup du méchant CDB prévenu au moindre soupçon de récidive de leur part. Elle les prévient, en passant qu'à son avis et jusqu'à la fin du vol, tout leurs faits et gestes seront disséqués par les dames patronnesses de l'avion et qu'ils serait plus judicieux de leur part d'avoir un comportement irréprochable.
Puis l'hôtesse retourne à son galley en espérant que les deux vacancières sympas assises à la rangée centrale, 27DEFG, viennent faire un tour à l'arrière avant l'arrivée. Elles avaient assisté à la scène sans broncher et elle était sure qu'elles pourraient leur donner le fin mot de cette histoire.
Quelques miles plus tard, cela ne manquât pas d'arriver.
Les deux copines se retrouvèrent dans le galley autour d'un thé à raconter leur histoire à un équipage captivé.
L'hôtesse n'avait pas rêvé en passant dans la cabine. Effectivement, ça bougeait sous les couvertures.
Une des filles, ne trouvant pas le sommeil, avait assisté à toute la scène, au grand dam de sa copine qui elle n'avait aucun souci pour dormir en avion. La pensant endormie commme les autres, alors qu'elle écoutait de la musique dans l'obscurité, le couple ne s'était pas méfié. Après une petite mise en scène avec les couvertures, la femme avait commencé son travail manuel discrètement, surveillant en même temps d'éventuels passages en cabine. Mais pressée par son partenaire, elle s'était laissée convaincre et avait passé la tête sous les couvertures.
La jeune femme n'en revenait pas. Elle avait bien sur entendue parler d'histoires à propos de gens qui s'envoyaient en l'air dans les avions, mais pour elle c'était plus un mythe qu'autre chose. Mais là sous ses yeux, le mythe se transformait en réalité. L'agitation sous les couvertures et l'air nigaud qui s'installait sur le visage de l'homme lui indiquait que la femme ne ménageait pas ses efforts et nos deux lovers semblait passer un bon moment.
Mais les choses s'était très vite gâtées quand les pécheurs avaient été découverts par la sainte famille. La grand mère et la mère vertueuses s'était indignées à haute voix alors que la jeune fille pré- adolescente suivant visiblement les traces de ses aînées, attendait vainement une réponse à la question:
- Mais qu'est ce qu'ils font maman?
Affolée, la mère s'était précipitée dans le galley pour chercher de l'aide, la grand mère paniquée et ne sachant que faire avait allumé les liseuses.
Ce tohu bohu avait d'abord déconcentré le couple, puis très vite il s'était rendu compte qu'il en était la cause et avait rapidement repris son quant à soi.
La vacancière s'était elle tassée au fond de ses deux sièges et avait fait semblant de dormir pour ne pas être prise pour une mateuse.
Trop tard petite vicieuse!